Gouverneurs
de la Rosée (19), publié en France en 1946,
raconte le retour de Manuel au village, après qu'il a longtemps
travaillé à Cuba, dans la coupe de la canne. Fort de
son expérience, il découvre un village déchiré
par une opposition entre deux clans, à la suite d'une querelle
concernant un héritage, un village dont les terres sont ravinées
et asséchées en raison de la déforestation massive.
Aidée de sa cousine Annaïse, qui appartient pourtant au
clan adverse, il parvient à retrouver une source. Mortellement
blessé par Gervilien, amoureux éconduit d'Annaïse,
qui s'enfuit en exil, il se refuse néanmoins à dénoncer
le coupable, dans le but de ne pas provoquer la mise en route d'un
nouveau cycle vendétal. Le village enfin réunifié
dans un grand combite creuse le canal par où arrrivera l'eau,
tandis qu'Annaïse se prépare à accoucher de l'enfant
conçu avec Manuel.
Compère général Soleil, de Jacques
Stephen Alexis (20) évoque la vie dans Port-au-Prince, dans
l'année 1936-1937 : I. Torturé par la faim, Hilarius
Hilarion, jeune chômeur atteint d'épilepsie, tente un
cambriolage nocturne (Prologue). Capturé (1), il fait la connaissance
de Pierre Roumel dont les paroles de réconfort lui redonnent
confiance. A sa libération, il rencontre une femme, Claire-Heureuse
(4). Le médecin Jean-Michel (5) commence à le soigner.
Il se rend avec sa mère à Léogane pour une cérémonie
vodou (8) pendant laquelle son cousin tue un policier (9). II. Hilarius
s'installe avec Claire-Heureuse qui ouvre une boutique (1). Dès
lors, la vie du couple est une lutte incessante pour une existence
décente. Claire-Heureuse est enceinte, Hilarius suit des cours
du soir. Il est engagé temporairement au service du ministre
Paturault, qui donne une fête (4) alors que la famine sévit
et que l'agitation gronde. Hilarius apprend de Jean-Michel qu'il est
guéri. Cependant, un incendie fait tout perdre au couple. III
Hilarius et Claire-Heureuse partent en république Dominicaine,
travailler à la coupe de la canne. Hilarius fait la connaissance
de Paco Torres, un communiste, qui a connu Roumel dix ans plus tôt
à Hambourg. (2) Claire-Heureuse accouche d'un garçon.
Paco Torres est assassiné, alors qu'il lance un appel à
la grève. (3) Son enterrement est l'occasion d'une grande manifestation.
(4) Les travailleurs du sucre obtiennent une augmentation. Peu de
temps après, dans les champs de cannes, les Haïtiens sont
massacrés massivement par l'armée de Trujillo. (5) Hilarius
et Claire-Heureuse parviennent à prendre la fuite. L'enfant,
mordu par un chien, (6) meurt peu après. Claire-Heureuse et
Hilarius parviennent à la frontière. Au moment où
ils la franchissent, Hilarius est abattu. Avant de mourir, il fait
à Claire-Heureuse, qui a perdu la raison, le récit de
sa vie et de la lente prise de conscience de sa condition. Il meurt,
le regard tourné vers l'Orient, alors que le soleil se lève.
Dans Les Semences de la colère d'Antony Lespès
(21), une colonie de rescapés des massacres perpétrés
par les fascistes dominicains est installée sur le Plateau
central et se voit attribuer des lots de terres. Le projet de développement
est supervisé par des ingénieurs et des agronomes qui
s'aperçoivent peu à peu du caractère artificiel
de ce projet : ils manquent de données climatiques et agronomiques
précises, ce qui fausse considérablement les hypothèses
de départ. En lutte contre les éléments, la sécheresse,
la pluie, contre la terre elle-même, contre les habitants du
Plateau, qui, éleveurs de bétail, voient d'un très
mauvais oeuil l'arrivée des colons, en lutte pour leur survie,
les colons perdent peu à peu espoir et meurent de sous-alimentation,
quand ce n'est pas de maladies suspectes, sous le regard des agronomes,
qui tentent de comprendre ce qui provoque un tel désastre :
cette crise sera déterminante pour certains d'entre eux, qui
décident de s'engager dans l'action politique, à l'exception
notable d'un ingénieur, Martin qui défend des thèses
sociales pour le moins passéistes voire réactionnaires.
Le roman s'achève sur une fausse alerte de tentative d'invasion
du pays par les troupes dominicaines.
Canapé vert, de Philippe Thoby-Marcelin et Pierre
Marcelin (22) retrace la vie d'une section rurale proche de Port-au-Prince,
dans les années 1938-1939, alors que cette section est agitée
d'un certain nombre de querelles qui sont articulées autour
de la prise de possession progressive des terres par des houngans
proches de la ville : Tonton Bossa, Dorvilus et Boispirhault. Amoureux
de Florina, la fille de Prévilon, Aladin repousse son ancienne
maîtresse, Sanite qui part provisoirement vivre à la
ville et se prostituer. Lors des obsèques de Bossa, houngan
accusé d'avoir zombifié ses enfants, son premier fils,
Josaphat de retour de Cuba, tombe lui aussi amoureux de Florina et
finit par l'emporter sur son cousin Aladin. Vivant sur les terres
de son père, terres acquises par des menées diverses
d'origines surnaturelles et notamment un pacte avec Baron Samedi -qui
ont eu pour prix la zombification de ses demi-frères- et malgré
le fait qu'elles soient maudites et que la communauté tente
de les vendre sur les conseils de Dorvilus, Josaphat vit avec Florina
un amour réprouvé par l'ensemble de la section. Après
que Sanite, une nouvelle fois repoussée par Aladin se suicide
en se jetant dans la ravine du Bois de Chêne, ce dernier possédé
soudain par Linglessou assassine à coups de machette Florina
et Josaphat, avant de s'enfuir en Dominicanie, par les mornes. Dorvilus
parvient à récupérer toutes les terres, mais
son chien devient enragé, après avoir dévoré
les restes de Josaphat et Florina, et s'en prend à des animaux
et à des êtres humains. Incapable de s'en débarrasser,
ni d'aider les services municipaux, il est destitué de sa charge
de chef de section. Il meurt à la suite d'une chûte faite
alors qu'il est possédé par Agaman. Avant de disparaître,
il s'accuse de tous les maux qui ont frappé la section depuis
de longues années, notamment la zombification des enfants de
Bossa. Mais les paysans ne le croient pas, et attribuent ces accusations
à une vengeance du Guédé qui aurait fait de Dorvilus
l'instrument et une des victimes de celle-ci.
Les Arbres musiciens, de Jacques Stephen Alexis (23)
nous entraîne dans l'époque de la seconde guerre mondiale
et de la campagne dite " anti-superstitieuse ", dont l'écrivain
montre l'articulation à des menées américaines
visant à la dépossession des paysans haïtiens de
leurs terres. Alors que Léonie Osmin parvient à faire
élire son candidat à la députation, ses fils
participent tous les trois à leur façon à la
vie publique haïtienne. Diogène, reçut prêtre,
participe avec une énergie toute mystique à la campagne
contre les rituels du vaudou ; Edgard, officier dans l'armée,
assure les opérations de maintien de l'ordre et d'expropriation
des terres appartenants à la section de Fonds-Parisiens. Le
troisième frère, Carle, poète et homme de lettres,
cultive une certaine distance à l'égard des activités
de ses frères. La communauté paysanne est animée
par le prêtre Bois-d'Orme Létiro et le vieux Général
Miracin. Face à la menace, ils convoquent pour une grande réunion
tous les houngans de la région et décident d'une stratégie
de repli. Ils sont aidés en cela par un jeune homme, Gonaïbo,
qui vit seul sur les bords de l'Etang saumâtre et qui est le
dernier dépositaire des plus anciennes cultures de l'île.
Ils trouvent sur leur chemin le sorcier Danger Dossous, qui joue les
uns contre les autres, pour tenter d'asseoir son pouvoir sur la peur.
Malgré une expédition de récupération
d'objets du culte, la communauté de Nan-Remembrance voit arriver
les troupes chargées de l'expropriation. Miracin tue Edgard
Osmin, tandis que Danger est vaincu par Bois d'Orme, qui meurt peu
après. Le temple est détruit, les soldats pénètrent
dans les lakous. Gonaïbo part dans la montagne des Pins avec
Harmonise, la petite fille de Bois d'Orme. Il devient bucheron. Carles
Osmin, le troisième frère, se marie dans la capitale
et entame une brillante carrière politique, alors que son frère
Diogène, qui a perdu la raison, est soigné par sa mère.
L'Espace d'un Cillement (24) évoque la capitale,
sous la présidence d'Estimé (1946-1950). L'histoire
est racontée depuis les points de vue alternés des deux
protagonistes, El Caucho et la Nina et est organisée par mansions
(25) I LA VUE. Alors qu'une
escadre américaine est au mouillage, le matin du premier dimanche
de la Semaine sainte, deux êtres se regardent dans la rue :
la Nina Estrellita, prostituée travaillant au Sensation Bar
et El Caucho, un ouvrier mécanicien. Tous deux sont nés
à Cuba. Ils s'observent longuement, avant que la Nina ne monte
avec des clients. De retour le soir même, El Caucho la retrouve.
II L'ODORAT. Le lundi matin, La Nina médite sur son histoire,
sur l'oubli de son enfance. De son côté, El Caucho arrive
en retard au travail. Il vient d'apprendre l'assassinat à Cuba
de son père spirituel, le syndicaliste Jésus Ménendez.
Il se rend à midi et le soir au Sensation bar. La Nina et lui
se sentent attirés l'un vers l'autre. Elle reconnaît
sur El Caucho l'odeur des cigares cubains, tandis qu'il accueille
en lui un souvenir d'enfance, une prairie de soucis. III L'OUIE. Mardi.
El Caucho sauve devant le bar un enfant qui s'est blessé. Pendant
la soirée, la Nina a la confirmation de l'origine cubaine d'El
Caucho, par son accent. Une bagarre éclate dans le bar, un
marine ayant égaré sa bague (volée en fait par
la Nina). El Caucho défend le patron et se bat victorieusement
contre plusieurs soldats. IV. LE GOUT. L'escadre américaine
s'en va le mercredi. Les prostituées sont au repos. El Caucho
leur rend visite alors qu'elles jouent au loto. La Nina gagne. Restés
seuls, ils s'embrassent mais El Caucho la quitte violemment à
la suite d'un malentendu (elle lui offre de l'argent). Dans la méditation
qui suit, il compare la société caribéenne à
un vaste bordel. La Nina fume une cigarette de marie-jeanne, en songeant
au goût salé de la lèvre d'El Caucho. Assailli
par des bribes de souvenirs, ce dernier ne parvient pas à dormir.
Il cherche une photo. V. LE TOUCHER. Vers midi, le Jeudi-saint, El
Caucho médite sur la situation d'Haïti par rapport aux
Etats-Unis. Dans la cathédrale la Nina demande l'aide de la
Vierge. Ils se retrouvent au bar. Ils dansent. Dans la chambre de
La Nina, ils essaient de trouver le souvenir qui les réunit.
Ils se rejoignent, s'endorment. Au milieu de la nuit, El Caucho la
réveille, l'appelle par son nom, Eglantina. Elle reconnait
alors Rafaël, son premier amour. Ils trouvent dans les affaires
d'Eglantina la photo recherchée. VI. LE SIXIEME SENS. Ils restent
enfermés deux jours dans la chambre, préparant un nouvel
avenir. Eglantina craint de décevoir Rafaël. Il part,
et reviendra la chercher en fin de matinée. CODA, L'ESPACE
D'UN CILLEMENT. Eglantina range ses affaires et se prépare
à partir. Quand El Caucho revient la chercher au bar, Eglantina
a disparu. Elle a laissé une lettre dans laquellle elle annonce
qu'elle va travailler afin d'oublier la Nina.
Avec Bon Dieu rit, Edriss Saint-Amand (26) met en scène
des conflits familiaux et religieux dans Diguaran, un bourg de l'Atalaye,
à une époque qui n'est pas indiquée dans le roman,
mais qui ne saurait être éloignée de celle de
la campagne dite anti-superstitieuse. A la différence de ses
parents et de ses frères et soeurs, Prévilien ne s'est
pas converti au protestantisme : il continue à célébrer
les loas, malgré les remontrances de sa grand-mère et
de son père, Prévilus Pierre. La plupart des paysans
vendent leurs journée au planteur Cyrille, le notable de la
région, propriétaire d'une guildiverie, qui pratique
les prêts d'usure et s'empare peu à peu de toutes les
terres, qu'il met ensuite en valeur, tout en maltraitant ses ouvriers.
Prévilien et sa femme sont rapidement en butte à une
série d'oppositions : d'une part, Massillon, un autre paysan
de la catégorie la plus misérable, amoureux éconduit
de Marilisse, soeur de Prévilien, bien que protestant, s'attache
les services de Dorisca pour nuire à Prévilien ; d'autre
part, à la suite d'un conflit entre Cyrille et madame Prévilien,
et du procès (truqué) qui s'ensuit, Prévilien
se voit obligé d'emprunter de l'argent à Sénatus,
un commerçant de Saint-Michel, et d'hypothéquer sa terre.
Enfin, Prévilien est sans cesse critiqué par sa famille
car il résiste à toute conversion, et continue de vouer
un culte coûteux aux loas. Cependant, Marilisse, séduite
par un instituteur, Simon Mareu, s'installe à Saint-Michel.
Elle est désavouée par sa famille. La situation empire
chaque jour, au point qu'une nuit, Plaisimond, le cadet de Prévilien,
tente de voler quelques bananes dans le jardin de Cyrille. Il tombe
dans un piège et meurt avant que le jour ne se lève.
Cyrille montre sa joie d'avoir enfin capturé un voleur, mais,
tandis que l'on rapporte le corps à la famille, les paysans
le menacent et l'accusent d'être un criminel, d'avoir commencé
à gagner des terres en éliminant son propre frère.
Il ne peut se défendre de cette accusation et les paysans décident
de ne plus travailler pour lui. Alors que toute la famille se lamente
autour du cadavre de Plaismond, Prévilus et Marilisse sont
soudainement chevauchés par des loas, tandis que la grand-mère
s'en va épouvantée. Après le retour au calme,
et devant les critiques contre le protestantisme, Prévilien
se demande si tous les cultes ne se valent pas : aucun n'a réussi
à les sortir de la misère. Prévilus finit par
mourir, tandis que Marilisse, abandonnée par son amant, " tombe
dans l'abîme ", et se prostitue dans Saint-Michel. Prévilien
quitte la région : il a perdu sa terre et son nouveau propriétaire
ne cesse de l'insulter.
Amour, Colère, Folie : les trois romans de Marie
Chauvet ont été publiés en un seul volume (27).
Amour reproduit le journal intime de Claire, l'ainée
des soeurs Clamont. Née en 1900, âgée de trente-neuf
ans, elle ne s'est jamais mariée et s'est toute sa vie chargée
de l'éducation de ses soeurs, Félicia et Annette. Félicia
est mariée à un Français, Jean Luze, comptable
de M.Long, un Américain directeur d'une entreprise d'import-export.
Dans la ville côtière, probablement Jérémie,
la misère s'est installée. Les familles aristocratiques,
comme les Clamont, les Duclan, les Audier, sont désormais ruinées.
La richesse des Clamont a disparu pour plusieurs raisons : le père
Clamont, homme autoritaire, était propriétaire de deux-cents
carreaux de caféiers sur le Morne-au-Lion. Petit-fils d'une
négresse des mornes, sa puissance économique est assurée
entre autre par le maintien du lien avec les loas-racines. Malgré
ses ordres, malgré les punitions et les coups, Claire, dont
on apprend rapidement qu'elle à le teint plus foncé
que celui de ses parents, refuse de maintenir le pacte. Dans les années
1912-1915, Clamont dilapide une partie de la fortune familiale en
s'engageant dans un combat politique : il brigue la présidence.
L'assassinat de Leconte, les troubles qui lui succèdent, l'invasion
étatsunienne mettent un terme à ses espérances.
Il meurt victime d'une attaque, suivi par sa femme trois plus tard
(en 1918). Dès lors, Claire tente maladroitement de faire rentrer
quelques revenus dans la famille, tout en élevant ses soeurs
(il y a huit ans d'écart entre chacune d'elle), et provoque,
lors de la vente des dernières terres, un massacre. Marquée
par une éducation puritaine et hypocrite, elle ne parvient
pas et/ou refuse à se marier, ni même à avoir
un amant. Elle souffre de plus en en plus de troubles liés
à une insatisfaction grandissante : sa chambre abrite dans
le plus grand secret son journal, un poupon, des images pornographiques.
Les troubles sociaux entraînent l'arrivée d'un nouveau
commandant de police, Calédu, qui fait régner la terreur
sur la ville : il torture, particulièrement les femmes, et
parmi elles, particulièrement les claires, qu'il humilie, cravache,
estropie, viole ; il tue, fait disparaître, ceux qui ne reconnaissent
pas son autorité. Parallèlement à cette montée
de la terreur et à la décrépitude des familles
mûlatres ruinées notamment par un cyclone, une nouvelle
classe sociale prend les rênes du pouvoir. D'origine plus humble,
elle s'enrichit par la corruption et le détournement. Elle
s'est appuyée sur la collaboration avec l'occupant étatsunien.
L'arrivée de Jean Luze, rescapé de la première
guerre mondiale, modifie la vie des soeurs Clamont. La plus grande
partie du journal traite des relations entre les différents
habitants de la maison, les trois soeurs, la servante Augustine, originaire
du Morne-au-Lion, Jean Luze, et les quelques rescapés de la
société mûlatre d'autrefois. Même après
qu'il a épousé Félicia, Annette fait ostensiblement
la cour à son beau-frère pendant la grossesse de sa
soeur, tandis que Claire en est éperdument amoureuse. Annette
choque la société claire par sa vie désordonnée,
ses amitiés avec le monde des nouveaux riches. Elle finit par
épouser le fils du préfet Tudor, un parvenu corrompu,
qui la trompe rapidement. Claire continuera à chercher à
attirer Jean Luze dans son lit, tout en étant de plus en plus
obsédée par le commandant Calédu, qui la surveille,
qui la recherche la nuit et dont elle rêve. La terreur se fait
plus lourde encore sur la ville, tandis que les paysans sont obligés
de vendre leurs arbres à Long, qui exige de Jean Luze des modifications
d'écritures comptables. La déforestation est rapidement
effectuée, et aux premières pluies, la terre s'en va.
Les paysans, dont les terres sont ruinées, s'engagent pour
la coupe de la canne en Dominicanie. Secrètement, Jean Luze
fomente une révolte, en s'appuyant sur les mendiants et de
jeunes poètes et intellectuels auxquels il transmet ses connaissances.
Une nuit, Claire qui ne supporte plus de cotoyer cet homme qu'elle
aime et dont elle estime qu'il la traite comme une gouvernante -Félicia
étant souvent malade, notamment pendant sa deuxième
grossesse qui se solde par un avortement-, qui ne supporte pas non
plus la présence de ce bonheur familial sous le même
toit et alors que les Luze ont fait part de leur projet de quitter
le pays, s'avance un poignard à la main (poignard offert par
Jean Luze), pour le tuer. Soudain, on entend des cris dans la rue
: une émeute se dresse contre Calédu. Celui-ci recule
et monte sur la galerie de la maison Clamont. Claire le poignarde
dans le dos, " comme une bête ". La ville est dans la rue, les
portes sont ouvertes.
Colère met en scène la famille Normil, qui vit
dans le quartier de Turgeau, sur des terres acquises par le bisaïeul
du père, un éleveur noir de Cavaillon enrichi à
la fin du XIXème siècle. Un matin, au réveil,
la propriété est entourée par des pieux, plantés
par une compagnie d'hommes en uniformes noirs. Le grand-père,
Claude et ses petits-fils, Paul, un étudiant au corps d'athlète
et Claude, un enfant rachitique aux membres inférieurs atrophiés
et condamné à ramper, sont révoltés. Le
père, Louis, et sa fille Rose comprennent immédiatement
que les terres sont perdues et qu'il leur faudra négocier avec
les hommes en noir. Rose tente de convaincre Paul qu'il faut le faire
pour qu'au moins lui puisse partir à l'étranger faire
ses études. Ils se méfient tous de la bonne, Mélie,
qui a depuis longtemps pris le parti des hommes en noir. Un nuit,
la mère, fille d'un mulâtre mort d'alcoolisme et de désespoir
-il a échoué dans sa carrière de violoniste-
découvre que l'entrée de la maison est interdite, que
sa fille découche, alors qu'elle-même est l'objet d'une
tentative de viol par un milicien. Le grand-père en appelle
sans cesse à la prière et à la révolte.
Les voisins, les amis prennent tous leurs distances et la famille
Normil est de plus en plus isolée. L'avocat consulté
par Rose et Louis, ancien condisciple pauvre de ce dernier, leur fait
comprendre que les procédures seront longues et difficiles.
Il rappelle à Normil que ce dernier n'a rien fait pour l'aider
lorsqu'il se débattait dans la pauvreté. Rose comprend
que la première étape consiste à donner ses faveurs
au chef de la milice, surnommé le " gorille ". Normil commence
par emprunter 500 dollars à sa maîtresse, une jeune femme
très riche. Louis tente de remettre cet argent à l'avocat,
qui lui rappelle qu'il ne l'acceptera que des mains de Rose. A la
kermesse de Pétionville, Paul et Anna Valois, la fille du médecin
de famille assiste à l'exécution d'un homme qui s'est
plaint de la faim. Fred Morin, un soupirant de Rose retient le couple
qui cherche à quitter la fête. Soudain, Paul aperçoit
Rose dans la voiture du chef des hommes en noir. A la maison, dès
qu'elle est de retour, Rose, qui a réussi à remettre
l'argent à l'avocat est insultée par ses frères
et son grand-père. La mère commence à boire,
ce qui lui attire de sévères reproches. Elle comprend
aussi que son coeur malade ne supportera pas longtemps de telles incertitudes.
La liaison de Rose et du chef de la milice entraîne une profonde
modification du comportement de l'entourage et des amis de la famille.
La narration change alors d'origine, tourne : dans un monologue intérieur,
Paul mesure la culpabilité sociale qui assaille toute la famille
qui n'a pas su regarder la montée de la misère autour
d'elle pendant des décennies. Il observe la décomposition
de l'unité familiale, et prend la décision d'assassiner
le " gorille ", le chef des hommes en noir. La narration est ensuite
prise en charge par Rose, et raconte comment le chef de la milice
l'a violée. Celui-ci, ancien mendiant, jouit de la posséder
sous l'apparence d'une martyre souffrante et passive. Mais par un
retournement métaphysique, Rose comprend qu'en fait ce tortionnaire
est à sa merci. Elle prend conscience aussi, à travers
le comportement de la bonne Mélie, que le nouvel ordre qui
se met en place a aussi pour objet de dénoncer les inégalités
sociales si criantes. Dans la maison, le grand-père prépare
son petit-fils Paul à recevoir le fantôme du bisaïeul,
censé venir les protéger. Le père, en revanche,
pense pouvoir trouver des failles dans les manigances des hommes en
noir. Il commence par accepter de tirer profit de la liaison de leur
chef avec sa fille, rencontre même le " gorille " et décide
de le faire mourir. Il apprend lors de cette rencontre que le pays
est désormais quadrillé, et que la spoliation des terres
Normil est la première d'une série programmée.
Le " gorille " lui propose de vendre ses terres à leurs profits
mutuels. Malgré la désapprobation de sa maîtresse
et le mépris du grand-père et de son épouse,
Normil comprend, lui-aussi, que l'expropriation des terres est en
quelque sorte une vengeance sociale. En attendant de pouvoir détruire
ceux qui lui nuisent, Louis est l'objet du mépris de sa famille.
Une nuit, Paul parvient à surprendre un rendez-vous entre sa
soeur et le " gorille ". Il tente de tuer ce dernier. Lors de la vente
des terrains, chez un notaire dévoué au " gorille ",
le statagème mis en place par Louis Normil, qui consiste à
faire jouer la rivalité entre les chefs des hommes en noir
réussit. Le gorille est abattu. Normil s'enfuit avec l'argent
et ses titres de propriété, qu'il parvient à
mettre à l'abri. Il obtient des passeports pour Paul et Rose
et s'apprête à leur faire quitter le pays. Paul ne sait
comment remercier son père. Pendant la nuit qui suit, le grand-père
et le petit-fils infirme sont abattus dans le jardin. Rose rentre
le matin, épuisée. Elle meurt.
Dans Folie, le ton devient plus oppressé, et les personnages
semblent complètement enfermés et isolés, dans
le délire et l'hallucination. Le narrateur, René, un
poète alcoolique, est enfermé plus de huit jours sans
nourriture ni eau dans sa maison, pendant que ceux en qui il voit
des Diables font régner la terreur sur la ville. Il semble
être fou. On apprend peu à peu, dans son monologue, qu'il
est le fils d'Angélie, une marchande de pacotille, et d'un
propriétaire terrien, qui l'a violée, alors qu'elle
servait d'esclave-domestique chez lui. Angélie a travaillé
de sorte que son fils, qui est clair, puisse réussir ses études.
Il parle et écrit le français, vit un temps grâce
aux cours particuliers, que peu à peu on lui retire en raison
de son alcoolisme. Dans la rue, un commerçant, Saindor est
assassiné. Un autre poète, André, rejoint René.
Dehors, sous le regard de René, les cadavres s'amoncellent
et commencent à se décomposer. Les deux hommes ont soif
et faim. Ils pensent voir Jacques, le frère d'André
abattu par les Diables.Ils donnent sans cesse du sirop de canne aux
loas et ne se " nourrissent " pendant plusieurs jours que de clairin.
Jacques, en fait vivant, les rejoint une nuit. Très émotif,
il se replie sur lui-même, et écrit. René songe
à sa vie passée, à son amour pour Cécile
Magistral, dont il observe les fenêtres depuis sa cahute, à
ses années de formation et aux privations de sa mère,
à sa difficulté de vivre dans un monde où il
est sans cesse en décalage, ni clair, ni foncé, ni chrétien
ni vaudouisant, comme il est tantôt dans le présent,
tantôt dans le passé, tantôt dans la réalité,
tantôt dans l'imaginaire. Arrive Simon, un poète français
fixé en Haïti, qui vient boire, lui aussi peu à
peu convaincu que ce qu'il prend pour un détachement arrivé
de la capitale est en fait un groupe de diables. Simon leur raconte
comment il a vécu la guerre, quelles ont été
les blessures reçues.Il rappelle que les quatre hommes ne se
sont jamais complétement remis d'une première arrestation
par le commandant Cravache et des tortures subies. L'ivresse et l'intoxication
ont peu à peu raison de la lucidité des personnages.
Lorsqu'ils se rend compte de la mort de Jacques, dûe à
la faim et à l'épuisement, René se précipite
dehors en lançant des bouteilles transformées en cocktails
molotov. Il est ceinturé par Simon. La narration change : l'écriture
devient celle d'une pièce de théâtre, et à
part quelques " didascalies ", le texte rapporte uniquement la transcription
des discours des personnages. La foule les entoure. René semble
enragé, et on demande au père Angélo de l'exorciser.
Arrive le commandant Cravache, qui les fait arrêter, ainsi que
Cécile et sa domestique, Marcia, les accusant tous de complot
contre la sûreté de l'État. Divers mouvement agitent
la foule, qui prend partie pour les militaires contre les mulâtres.
Sur le chemin de la prison, Cécile et René échangent
quelques paroles. Ils sont séparés avant d'être
enfermés. On apprendra que pendant la nuit les deux femmes
auront été violées. Au matin, après un
réveil brutal, les poètes sont soumis à un interrogatoire
et à la torture, ainsi que Cécile. Menacé par
le commandant, le docteur déclare les trois hommes sains d'esprit.
Le chef du détachement venu de Port-au-Prince ordonne que les
trois hommes soient fusillés. Le récit s'achève
sur la vision qu'a René d'anges emportant les condamnés
dans leurs bras.
Mère Solitude (28) est le roman d'un quête.
A travers le regard et les questionnements de Narcès qui mène
une longue anamnèse de l'histoire de la famille Morelli arrivée
en Haïti peu après Colomb, le roman montre combien les
rapports entre les êtres haïtiens sont complexes, mais
aussi sont parvenus à un point de dégradation telle
que toute issue semble impossible. Fils batard du professeur Edmond
Bernissart et de Noémie Morelli, Narcès cherche à
comprendre par quel enchaînement de circonstances, d'obligations
et de tensions, le pouvoir haïtien du président-dictateur-à
vie et des dragons noirs en est arrivé à condamner et
à pendre sa mère en public, à la fin des années
soixante. Cette recherche de la vérité l'amène
à retrouver, par approximations successives, à l'aide
de rumeurs, des archives familiales, de la mémoire vivante
du majordome Absalon, cet enchaînement. Il lui faut en fait
remonter aux origines mêmes de la famille. La lignée
a été établie par Démétrius Morelli,
gênois de Valence, en Espagne. D'abord " engagé ", celui-ci
devient rapidement un personnage important. Il fait construire une
demeure imposante à Turgeau, qui domine la baie de Trou-Bordet,
appellation olliviérenne de Port-au-Prince. Là se concentre
peu à peu peu, au fil des générations, les cultures
du monde, des pans entiers des savoirs, occultes, opaques. Une réputation
sulfureuse, de sorcellerie, de lycanthropie, entoure la famille, souvent
proche du pouvoir, mais peu à peu ruinée. Si le grand-père
de Narcès, Astrel fait remuer le jardin par Absalon pour retrouver
un trésor enfoui par Démétrius, à la dernière
étape, les meubles et les bibelots en sont peu à peu
livrés à la brocante. L'avant-dernière génération
est composée de cinq membres, deux frères et trois soeurs.
Noémie devient la maîtresse de son professeur de biologie
Edmond Bernissart. Malgré sa grossesse, le père, Astrel
refuse d'accorder sa main à un Noir. Narcès est donc
sans père. Il ne devine son identité qu'après
la mort de celui-ci, assassiné lors d'une conférence
sur les dinosaures dont le texte est entendu de façon polysémique
-les dinosaures étant le mode de désignation populaire
des tenants de la ligne dure du régime. Hortense, qui n'a pu
se marier, se partage entre la dévotion et l'entretien de la
maison, à partir de la mort de sa mère Rébecca,
femme d'origine syro-libanaise, victime d'un myélomme. Au cours
du roman, Hortense est initiée aux cultes du vaudou par Absalon,
dont elle devient la maîtresse. Quand à Eva-Maria, la
dernière, personnage fragile, elle bascule dans une folie mystique
à la mort de Sylvain. Ce dernier s'immole par le feu, croyant
avoir livré son frère Gabriel aux mains d'un officier
pervers et tortionnaire, Tony Brizo, qui le retient deux ans dans
le bagne de Fort-Touron. Gabriel Morelli est un intellectuel, un journaliste
contraint à l'exil pour avoir protesté contre le massacre
des pauvres, au début du nouveau régime. Revenu lors
de la mort de Rébecca, il professe un discours révolutionnaire,
teinté d'un marxisme de bon aloi et appuyé essentiellement
sur des stéréotypes culturels occidentaux. Son enfermement
et les tortures qu'il subit à Fort-Touron modifient sensiblement
ce comportement. Pour sa libération, Noémie accepte
de coucher avec Brizo, acte dont elle sait qu'il la condamne. Elle
assassine l'officier au moment de la jouissance. Accusée d'être
une sorcière, comme tous les membres de sa famille et de faire
disparaître des êtres dans Trou-Bordet, ou une communiste,
au gré des discours des factions qui se disputent le pouvoir
réel sur le pays, elle est pendue sous les huées de
la foule. Cette patiente remontée de la vérité
est menée par Narcès essentiellement grâce à
Absalon : depuis le fils de Démétrius, les Absalon Langommier,
de la famille d'Antoine Langommier, personnage haïtien éponyme
de la (clair)voyance, sont au service des Morelli, formant avec eux
un couple où se mêlent le service réciproque,
le lien avec l'origine, le désir. L'initiation qu'il provoque
chez Hortense accentue encore ce rôle. Par elle, le personnage
féminin pénètre de plein pied dans la culture
haïtienne. Son récit du séjour dans l'eau, de sa
rencontre avec la Vénus noire erzuléenne porte témoignage
de la richesse symbolique de cette culture, de sa complexité,
de son caractére à la fois emblématique et allégorique,
fondamentalement positif. Le trajet que suit Eva-Maria est tout parallèle
: sa folie est de plus en plus considérée comme révélatrice
de la crise de la société haïtienne. Figure dénonciatrice
de la barbarie destructrice, allégorie portant sur son vêtement
les désastres de la technologie, et de tous les règnes
" réunis exceptionnellement dans un moment d'apocalypse ",
son parcours s'achève par un crachat projeté au visage
du Négus, en visite officielle à Trou-Bordet, quelque
temps après qu'une odeur pestilentielle en provenance du palais
ait signalé la mort du dictateur. Elle est éliminée
par la police, mais est transfigurée dans le panthéon
des loas sous le nom de La Mariée. Les signes de la vieillesse
marquent rapidement le visage, le corps et l'esprit d'Hortense. Le
roman se termine par la description de la traversée du carnaval
par Narcès, qui a rendez-vous quai Christophe Colomb avec son
oncle Gabriel devenu guide pour touristes. Pour Narcès, la
lente décision d'un départ de l'île commence à
faire son chemin.
Les Affres d'un défi (29) de Franketienne se
présente d'abord comme une " expérience ", celle d'un
passage du texte Dezafi en créole haïtien au français
haïtien. Après la première spirale de Ultravocal
qui figurait l'aventure de la langue, seul espace de liberté
dans un pays voué au mal pluridimensionnel, Franketienne s'attache
à ce qui paraît bien le noeud des cultures haïtiennes
: la confrontation des espaces (l'urbain et le rural, le dedans et
le dehors), des groupes sociaux (oppresseurs / opprimés, tortionnaires
/ torturés), et l'inscription des êtres dans cette confrontation.
Plusieurs séries constituent cette spirale, séries qui
se recoupent, se chevauchent, se rejoignent. 1. A Ravine-Sèche,
bourg de province traversé par le chemin de fer MacDonald et
où la vie des paysans est si dure et sans horizon, le houngan
Saintil fait régner la terreur sur les habitants de Bois-Neuf
: aidé de sa fille Sultana et de Zofer -contremaître
des zombis-, il transforme de nombreux paysans et habitants en mort-vivants
qu'il fait travailler sur ses terres et dans ses rizières.
Ces zombis sont souvent battus et torturés. L'un d'eux, Clodonis,
est un intellectuel qui a fait ses études à Port-au-Prince,
et dont Sultana tombe amoureuse. 2. A Ravine-Sèche, le jeune
Gaston, neveu de Luisana, las de ne rien faire, défie le champion
Antonin aux dès. Il gagne, et avec la somme reçue, part
survivre à Port-au-Prince. Paria parmi les parias, il devient
le factoton de Pinechrist, pasteur américain qui prèche
la journée et mène la nuit une vie de débauche.
3. Dans Ravine-Sèche, chez le paysan Alibé, se cache
Jérôme, étudiant, poursuivi par la police politique.
Ils assistent impuissants à l'oppression des zombis. 4. Dans
le quartier du Sacré-Coeur, à Port-au-Prince, le vieux
Gédéon meurt lentement. Sa servante -son souffre-douleur-,
Rita, nièce d'Alibé, l'assiste quotidiennement avec
des marques de tendresse, jusqu'à la fin. 5. Des voix commentent
les récits, la narration et les histoires qui se croisent.
Les voix narratrices sont multiples, et de différentes conditions.
Parfois même des bribes semblent émaner du très
peu de conscience de certains zombis. Certains passages évoquent
de manière récurrente les motifs de la torture, de l'amputation,
de l'émiettement, de la pourriture, de la plongée dans
l'excrémentiel. 6. A la faveur d'un dezafi pendant lequel se
déroulent des combats de coqs dans lesquels Saintil introduit
des pintadines (métisses de coqs et de pintades, particulièrement
féroces), Sultana, assomme Zofer -qui tente de la violer- et
fait boire un bouillon salé à Clodonis. Celui-ci se
réveille de son inconscience, bouscule Sultana, réveille
de la même façon les autres zombis. Ils lynchent Zofer,
pendant que Sultana s'enfuit dans les bois, incendient le péristyle
et, sous la conduite de Clodonis, d'Alibé et de Jérôme,
partent à la recherche de Saintil, franchissent la voie ferrée,
saccagent le dezafi, avec les paysans qui les ont rejoints, lynchent
Saintil. Rita est de retour à Ravine Sèche, tandis que
Gaston, après la mort de Pinechrist, assassiné par un
mari trompé, revenant à Ravine-Sèche, effrayé
par l'incendie, fait demi-tour.
Le choix des textes
Le corpus offre un large spectre de la représentation de la
société haïtienne : plus de 1000 (30) personnages,
dont la majorité sont des paysans, ont été identifiés
dans ces onze romans. Tous les textes mettent en avant des conflits
qui témoignent du caractère radical de la césure
haïtienne, qu'elle soit sociale, géographique, phénotypique,
culturelle, sexuelle ou seulement religieuse. Mais le corpus témoigne
aussi de ce qui s'est passé ces dernières 60 années
: comme l'a montré Laroche, de terre d'immigration, Haïti
est devenue terre d'émigration à partir des années
30. Dès lors un clivage supplémentaire est apparu entre
une Haïti de l'intérieur et une Haïti de l'extérieur,
dédoublant encore la scène de la représentation.
Celle-ci s'est vue encore émiettée par les diverses
instances en présence depuis la fin de la guerre, et surtout
avec la période duvaliériste, où le pays s'est
peu à peu accoutumé à recevoir une aide internationale
importante. Haïti, de vecteur d'une culture particulière,
fondatrice, est devenue une sorte de terminus des valeurs et des produits
de l'occident : après avoir exporté ses produits coloniaux,
son bois, ses hommes, et son sang, Haïti a commencé à
recevoir les poubelles de New-York, ainsi que des déchets toxiques.
Toute l'économie du pays semble enfin arc-boutée sur
un approvisionnement de devises envoyées par les familles du
" pays en-dehors " : Désormais, et c'est
le drame de Haïti tout entière, la monnaie qui sert à
l'échange vient de l'extérieur (aide et salaires) et
repart à l'extérieur. De lui-même le pays n'offre
plus que quelques exportations qui vont en s'ammenuisant, et le rapport
vivant et vital avec le monde disparaît : que peut désormais
espérer prendre de façon consciente et enrichissante
au dehors un système qui en contre partie n'a plus grand-chose
à lui offrir ? (31) Tel est bien la déperdition
que traduisent les romans du corpus, des Semences de la Colère,
à Mère-Solitude, de Gouverneurs de la Rosée
aux Affres d'un défi.
Notes
19 Jacques Roumain, Gouverneurs de la Rosée, Paris,
Les Editeurs Français réunis, 1946. L'édition
utilisée est la suivante : Editions Messidor, publication de
1988.
20 Paris, Gallimard, 1955. L'édition utilisée est celle
de la collection L'Imaginaire, 1988.
21 Port-au-Prince, Imprimerie Henri Deschamps, 1949. Exemplaire prêté
par Gérard Barthélémy.
22 New-York, Editions de la Maison Française, 1944. Exemplaire
prêté par Gérard Barthélémy.
23 Paris, Gallimard, 1957.
24 Jacques Stephen Alexis, L'Espace d'un cillement, Paris,
Gallimard, 1959. L'édition uilisée est celle de 1983,
coll. l'Imaginaire, préface de Florence Alexis.
25 Voir à ce sujet l' article ici.
26 Paris, Domat, 1952. Réédité par Hatier, coll.
Poche noir, Paris, 1988.
27 Marie Chauvet, Amour, Colère, Folie, Paris, Gallimard,
1968.
28 Emile Ollivier, Mère-Solitude, Paris, Le Serpent
à Plumes éditions, 1994. Première édition,
Paris, Albin Michel, 1983
29 Franketienne, Les Affres d'un défi, Port-au-Prince,
Imprimerie Henri Deschamps, 1979.
30 Pour faciliter la connaissance de ces représentations sociales,
et pour pallier la difficulté d'une écriture forcément
étalée dans le temps en raison d'une part des activités
professionnelles, mais aussi d'un nécessaire mûrissement
de cette recherche, je me suis aidé d'outils informatiques.
Une base de données regroupant des informations bibliographiques,
des citations de textes (essais et romans, conversations etc.) et
les personnages a été développée sous
FilemakerPro de Claris (version 2 à 5.5). D'autres outils comme
MindMap et les outils graphiques de Microsoft Word ont été
largement utilisés. Les champs identifiants les personnages
ont été élaborés à partir de la
thèse de Drexel Woodson (voir bibliographie). 31Gérard
Barthélémy, L'Univers rural haïtien, Paris,
L'Harmattan, 1990 ; p.57.
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