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Études haïtiennes

   

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date et lieu de parution

 
  L'intrus légitime

Cultures Sud / Notre Librairie, N°168

 

 
 

Jacques Hainard, Philippe Mathez et Olivier Schinz (sous la direction de), Vodou, Musée d'ethnographie de Genève et Infolio, Collection Tabou, Genève, 2007. 448 p., ISBN 978-2-88474-066-1, 11€



Publié à l'occasion de l'exposition "Vodou, un art de vivre", au musée d'ethnographie de Genève, le recueil d'articles nous propose un état des lieux de la recherche ethnographique sur le vodou. L'exposition est elle-même un temps fort de cette actualité, puisque pour la première fois, 300 pièces de la collection Marianne Lehmann sont montrées au public européen, qui, pour la première fois, peut longuement regarder des objets qui relèvent des cultes nocturnes, ceux des sociétés secrètes , et qu'on connaît mal, sinon par des affabulations qui remontent, pour la plupart, au temps de la colonie. Dans la perspective ouverte par l'exposition de 1996, "Du pays de Vaud au pays du Vaudou, ethnologies d'Alfred Métraux", l'exposition actuelle interroge les pratiques de l'ethnographie, c'est-à-dire la scénographie qui vise à mettre l'autre, et même au-delà, l'altérité elle-même, en évidence. De même, l'ouvrage prolonge les contributions du premier numéro de Gradhiva, "Haïti et l'anthropologie" .
Les dix-neuf articles du recueil, appuyés sur d'utiles bibliographies, sont distribués dans quatre parties qui traitent respectivement de l'histoire de l'étude du vodou, de sa place dans la vie quotidienne, du rapport du vodou à l'histoire et de la fonction des objets, quand ils aboutissent dans des musées. En général de grande tenue, les communications sont l'œuvre de chercheurs, mais aussi d'acteurs de terrain. Toutes ont en commun de proposer des pistes de réflexions particulièrement stimulantes. Si les origines du vodou sont évoquées, si ses fonctions sociales sont rappelées, c'est surtout le questionnement inhérent aux pratiques cultuelles qui sont mises en avant : la réflexion s'engage à partir d'un choix partial de pièces, et l'objectif de l'exposition est aussi de tenir un discours général sur le vodou haïtien. La réflexion devient alors une confrontation, entre les activités qui visent à maîtriser et à contenir des forces, tout en ayant conscience que cette tâche est vouée à l'échec et l'activité ethno-muséographique, qui sous couvert d'objectivité et de mise en spectacle des autres, tente, désespérément, il est vrai, de se donner comme finalité leur maîtrise et leur enfermement. Tâche qui est un éternel recommencement, sans cesse réactualisé par la variation des regards, et le déplacement induit, qui vient, de manière récursive, modifier alors les conditions de sa mise en œuvre. Ainsi, Dimitri Bechacq rappelle combien la description du vodou et sa pratique ont été et sont encore maillées. Au fur et à mesure des textes, c'est justement cette récursivité qui semble mettre la réflexion en perspective. La sémiologie du vodou est en effet dynamique : que ce soient pour les soins, les dessins, la fonction des objets, le droit, les axes de la révolte, la transe, la zombification, ce qui se manifeste dans l'entrebâillement de la connaissance est que le signe vodou est une force, avant d'être une forme, et c'est ce qui justement fausse les perspectives pour le regard occidental, et les rend méconnaissables. Pour nous, qui "avons perdu la ligne de fuite" comme le rappelle Charles Najman, le vodou "apparaît comme l'une des dernières démonstrations de la capacité encore agissante des puissances de l'invisible sur l'homme". Dans L'Intemporel, Malraux les nommaient "intrus légitime".

Et c'est peut-être par là que le paradoxe initial prend son essor : comme les objets rassemblés pour être exposés dans un musée remettent en question les catégories qui le fondent, on est en droit de se demander si justement l'étude du vodou ne vient pas infléchir et nuancer la théorie, dans un effort de transformation réciproque, qui revient à modifier imperceptiblement les modes de conceptualisation de la raison connaissante. Ce que cette raison doit parvenir à prendre en charge, comme un point aveugle, c'est précisément ce qui lui échappe, l'altérité de l'autre, que nul ne saurait se targuer d'enfermer.

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09