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Au
Pipirite chantant
Recueil de poèmes de l'écrivain haïtien Jean Métellus
(né en 1937), publié en 1978 (Les Lettres nouvelles, Paris).
Installé à Paris depuis 1959, Jean Métellus publie
dans diverses revues des poèmes écrit quotidiennement.
Confronté à la double fracture de l'origine africaine
et de l'exil, il interroge la réalité subie par les Haïtiens
et la mémoire de leur histoire, et retrouve dans cette quête,
les traces de ses propres souvenirs.
Le recueil s'ouvre sur une première partie dans laquelle le poète
rend compte de sa course pour retrouver "l'horizon maternel du matin",
ainsi que les mots qui lui permettront de chanter Haïti. Il parvient
rapidement à évoquer, dans " Rires et larmes d'un enfant
noir " et " Pour un écolier haïtien ", la misérable
condition de son peuple, le dévouement des mères, avant
de consacrer un texte à " La Mort en Haïti ". Mais c'est
dans le long poème, " Au Pipirite chantant ", qui donne son titre
au recueil, que se manifeste, avec une rare puissance, la présence
de l'île, à la fois magnifiée et honnie pour les
malheurs que subissent ses enfants. Se présentant comme un hymne
par lequel les voix paysannes interpellent les "dieux d'Afrique", ainsi
que le soleil, et crient leur impuissance devant tant de misères,
le poème devient le lieu privilégié dans lequel
le poète ressuscite sa propre enfance, et peut, à ce titre,
se faire le porte parole de la culture haïtienne, marquée
par la nuit de l'anxiété et l'espoir d'un aube annoncée.
La dernière partie du recueil revient, avec un écriture
plus mesurée, au constat brutal de la misère (Cendres
de la nuit, Pas d'échéance), s'arrêtant sur un élément
symbolique du paysage (Le Cocotier). Il explore les limites du langage
poétique par la description de couleurs (Le Violet, l'Indigo,
le Noir), des sens, avant de reprendre le chant du Matin, consacré
à la conquête de l'écriture, et de la Terre, Haïti,
vouée au pillage et à la désolation. " Philtre
amer " chante une dernière fois le découragement et la
ferveur du poète à l'égard de l'île, avant
de donner voix au dieu des combats, Ogoun et à la Guerre.
Placé sous la lumière de l'aube -le pipirite est réputé
pour être l'oiseau qui annonce le jour, et l'expression est usuelle
en Haïti-, le recueil de Métellus s'articule autour d'une
contrainte double : chanter la terre natale, perçue par les sens,
déployée dans le souvenir, l'histoire et la culture, et
déplorer son effondrement, sa misère, son acculturation,
signifiée par le retrait de ses "dieux jadis précieux"
qui "s'éloignent dans le silence noir de la méditation"
(Ogoun). Il faut alors au poète une langue qui puisse prendre
en charge une telle contradiction, qui puisse s'emparer de cet espace
multiple sans le déposséder, en lui dédiant une
parole consciente de ses enjeux : le poète doit ancrer une vérité
où l'anecdote côtoie le regard éloigné jeté
sur un objet (Haïti) qu'aucun discours ne parvient à habiter
sans le dénaturer. Ainsi, toute la première partie est
marquée par la confrontation, désirée et reculée,
du poète et de l'île: "Haïti,
Haïti / J'attends pour toucher / Mes mains s'étendent pleines
de mots ", "A quoi comparer tous ces mots
qui circulent ?". Il lui faut remonter à l'origine de
ses mots, en comprendre le soubassement (Rires et larmes d'un enfant
noir, Pour un écolier haïtien) avant d'en faire l'épreuve
(La mort en Haïti).
Mais c'est essentiellement dans " Au Pipirite chantant " que le poète
prend la mesure de son chant. En dépliant l'histoire d'Haïti
à partir de sa composante sociale essentielle, la paysannerie,
Métellus offre au lecteur français, son destinataire privilégié,
un espace poétique ouvert aux mythes, mais également à
toutes les forces de la nature. Ce sont les plantes qui parlent, tel
l'arbre à pain, ou bien la Terre, le Soleil. C'est dans le souvenir
de la Traite, de la déraison raciste blanche qu'il puise cette
énergie qui lui permet d'invoquer les Dieux, de dresser un constat
pitoyable de l'état d'Haïti, de la folie qui s'empare de
ses habitants et qu'il faut bien arriver à nommer. Haïti
vouée au silence devient dès lors un espace ouvert à
l'aube de la parole que "le visitant des vocables" peut enfin chanter
et non plus seulement décrire. Le poète séjourne
ainsi dans le souffle d'une langue neuve, inspirée et fiévreuse,
marquée fréquemment par le changement de rythme, étendu
à la maîtrise du verset.
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