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Études antillaises

   

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date et lieu de parution

 
  Cultures marronnes }

Notre Librairie, n° 161

 

 
 

Richard Price & Sally Price, Les Marrons, Vents d’ailleurs / Ici & Ailleurs 2003, 2e édition 2004, La Roque d’Anthéron, 2003. 15 €


Pendant longtemps, le thème du marronnage n’a pas eu d’ écho important dans les sciences humaines. Des chercheurs haïtiens ont cependant, en leur temps, à la suite des enquêtes menées dans le premier quart du XXe siècle par Melville et Frances Herskovits, commencé à dérouler les linéaments de cette histoire. Jean Fouchard, par exemple, a rendu hommage à ces révoltés, dans Les Marrons de la liberté (Paris, éditions de l’École, 1972) et dans Les Marrons du Syllabaire (Port-au-Prince, Ed. Deschamps, 1988). Dans un ouvrage récent, et remarquable, Quand la révolution aux Amériques était nègre… (Paris, Karthala, 2005), Nicolas Rey a rappelé qu’il n’y a guère que sur l’île de Saint-Vincent que des rescapés de naufrages de navires négriers, restés dans l’histoire sous le nom glorieux de Caraïbes noirs, purent s’établir durablement, animer des réseaux de fuite des plantation et résister près de 150 ans, jouant d’une double stratégie, la guerre et la diplomatie, avant d’être réduits, en 1796, par les Anglais. Les survivants, déportés au Honduras, rejoignirent les exilés haïtiens, les troupes de Jean-François et de Marc Saint-Dié. Pendant une bonne partie du XIXe siècle, ils participeront aux guerres d’indépendance des peuples d’Amérique centrale, réseaux dormant réactivés à la première alarme.
Les marrons du continent ont connu d’autres destins. Il faut tout d’abord saluer les travaux de Richard et de Sally Price, qui, depuis près de trente-cinq ans, mènent des recherches sur les marrons du Suriname. Leur travaux constituent une somme, tant du point de vue de l’histoire, patiemment reconstituée, que de la sociologie et de l’anthropologie. Car il est bien certain que dans le marronnage, ce qui est en jeu est bien une vision de l’humanité.
L’ouvrage publié aux éditions Vents d’ailleurs est une synthèse de ces travaux. Il est aussi le signe d’un investissement et d’un regard différent posé par la direction régionale des affaires culturelles de Guyane, qui a apporté son soutien à ce projet, qui ouvre une collection intitulée « Culture en Guyane ». C’est ainsi reconnaître que les peuples marrons participent de cette culture, au delà du caractère paradoxal de cette affirmation. Car le marronnage est en effet fondé sur le refus même de l’économie plantationnaire : fuyant cet espace, souvent peu de temps après leur arrivée, les esclaves, d’origines et de cultures diverses, se sont regroupés, ont refondé des groupes, des peuples, s’enfonçant plus avant dans la forêt dès lors que les colons les pourchassaient, traitant avec eux lorsque cela était possible. Peuples différents, aux formes d’organisation sociale distinctes : Aluku, Saramaka, Ndyuka et Paramaka, chacun de ces peuples est suivi dans son histoire mouvementée, et qui ne fut pas sans obstacles.
Les conditions actuelles de la présence des marrons, et la répartition sociale de leurs activités au sein de la société guyanaise constituent la seconde partie de l’ouvrage. On voit combien, depuis les temps de la « folie de l’or », les conditions de vie ont grandement été modifiées, et que la modernisation rapide de la société a affecté les mode de vie. Pourtant, richement doté d’illustrations elles-mêmes soigneusement commentées, le livre montre aussi la vivacité artisanale et artistique de ces cultures : les sculptures délicates, comme les tissages, témoignent encore de leur prégnance, liée aux cultes anciens et à certaines traditions, qui, bien souvent, rappellent encore l’arrachage initial à la terre natale et la nécessité d’une fondation.



Yves Chemla

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09