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  Mistero Buffo Caraïbe

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Mistero Buffo Caraïbe Texte Dario Fo, mise en scène de Dominique Lurcel / Compagnie Passeurs de mémoire, au Théâtre de la Tempête (avril-mai 1999) Avec Mimi Barthélémy, José Dalmat, James Germain, Sylvie Laporte-Varavarana, Jacky Sapart, Patrick Womba, Marius Yelolo. Diffusé au théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes

On sait la nation haïtienne fondée sur une absence : " Nan pouin manman / Nan poin pitit / Sa ki mouri zafè a yo " , dit le chant de guerre glorieux. " Il n'y a pas de mère / Ni d'enfant / Qu'importe la mort ". Ce cri des va-nus-pieds a longtemps retenti dans une indifférence générale. Ecouter ce cri revient aussi à entendre qu'il est proféré depuis deux siècles contre la négation par les Européens de la présence haïtienne. La mise en scène par Dominique Lurcel de Mistero Buffo Caraïbe de Dario Fo touche de façon aiguë cette difficile origine. Le mystère de la Passion est ici investi sur le mode grotesque et bouffe. Les points de vue sont décalés par rapport à la geste biblique : c'est un ivrogne hilare de retour des Noces de Cana qui raconte le miracle, et qui parvient à clouer son bec à l'ange empesé qui tente de s'emparer du récit. Tout au long de la pièce, l'énergie des personnages rend à la geste biblique une force redoublée dans l'affirmation de la dignité populaire. Loin des affirmations récurrentes d'un prétendu fatalisme des Haïtiens, les personnages mettent en scène la fondation de l'esprit de révolte et de combat contre la misère. Par le rire, par une parole qui écorche les discours de renoncement et les faux semblants, les personnages tentent aussi d'échanger cette parole tour à tour individuelle et collective, qui témoigne contre les pouvoirs. Les cultures populaires haïtiennes, le vaudou en particulier, présent dans le choix des couleurs comme dans les chants, inscrivent aussi leur marque : ces cultures sont encore vivantes et productrice de sens. Elles parviennent à s'emparer des figures évangéliques pour les actualiser. La Passion redevient cette histoire hors du commun vécue par des gueux. La séduction de la mort par le Fou, qui la fait boire jusqu'à l'abandon, montre enfin que les personnages ne sont pas indifférents aux interrogations métaphysiques. Mais le rythme même imprimé au jeu par l'énergie des comédiens empêche ces interrogations de se figer dans le spectacle fasciné des concepts. Malgré l'horreur des situations, malgré les drames qui se nouent, c'est à un réel sursaut qu'ils nous convient. Le caractère grotesque et qu'une approche hâtive qualifierait de carnavalesque n'empêche pourtant pas l'émotion de se manifester. La crucifixion est ici placée sous le regard de la Mère. La scène pendant laquelle Marie vient à savoir que son fils est condamné, est d'une intensité rare au théâtre. Mimi Barthélémy, avec une retenue exemplaire, dénuée de scories pathétiques, fait revivre pour le spectateur cette scène si connue, comme si nous l'entendions, comme si nous y participions pour la première fois. Dans cette histoire, une mère souffre, comme les femmes haïtiennes, qui, d'après le proverbe, portent le pays sur leur tête, après l'avoir réchauffé dans leur sein. La mise en scène trouve ainsi à chaque instant le ton juste pour signifier le scandale tragique qui recouvre leur existence. On ne peut que souhaiter à ce spectacle et aux comédiens qui l'animent de poursuivre leur chemin, et que de nombreux spectateurs des deux mondes puissent les suivre.

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09