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  Le Chant du Roi errant

Dictionnaire des Oeuvres des littératures de langue française (Couty et Beaumarchais), Paris, Bordas, 1994

 

 
 

du poéte tunisien Tahar Bekri (1951), publié en 1985 (Paris, L'Harmattan).

Dans son itinéraire de l'inquiétude, développé déjà dans Les Laboureurs du soleil (Editions du Silex, Paris, 1983), Bekri rencontre la figure emblématique à tous égards du poéte pré-islamique Imru`ul Qays (VIéme s.). Consid i dans sa quête d'une plénitude jamais atteinte, à travers de courts poémes évoquants des paysages oô s'exprime toujours une intense émotion.

Le chant du roi errant. Cette premiére partie reprend les thémes principaux de la mu`allaquâ la plus ancienne : de l'aube sereine sur le site qu'abandonnent les nomades à la nuit agitée d'éclairs cosmiques et hantée par la folie, le chant évoque une géographie de de l'errance entre les paysages, les lieux, les éléments, les reliefs, les songes et la réalité.

La quête de la lumiére. Confronté par son exil irrémédiable à l'opacité du langage, à la difficulté à nommer la réalité qu'il accueille sans relâche, le poéte rencontre dans sa quête de la lumiére les figures d'Ulysse et du poéte Machado. Son regret constant de l'ailleurs le méne toujours sur les confins, évoqués comme une "fissure au bord de l'accalmie" : les images de l'eau, rythmées par les marées, du port et de l'envol s'achévent néanmoins dans le calme et la tranquillité, "Au bord des soirs infinis ", ouverts à une question : "Est-ce l'été qui s'achéve ?".

La retraite du printemps. Le poéte rencontre la figure du Fou de Jibran, qui va l'accompagner dans cette entrée progressive dans la nuit. De la présence de l'Autre, confondue aves "un songe ou l'illusion d'un songe", à l'évocation de la mort confondue avec la mer et son "linceul d'écume", il rend compte d'images oô prédominent les thémes de l'effarement, de l'enlisement et de la noyade.
Les cardeurs d'absolu. Le couple céleste, maudit puis idolâtré d'Içaf et Na`ila, le guide alors sur la voie d'une parole poétique libérée de toute entrave, résolument lyrique, ouverte à un retour possible vers un chant véhément et proche à nouveau des éléments.

Priéres de marin ivre. Tournant le dos à une morale spiritualiste, le poéte chante alors la mer et sa splendeur, la mer vouée au périple de l'eau, du ciel aux montagnes, des montagnes aux fleuves, et rythmée par les cycles des marées. Le poéme ne parvient à le signifier qu'à l'aide de comparaisons et de métaphores dédiées à l'ouverture, à l'improbable, à la liberté : "Fous sont les poémes que le langage enchaîne". C'est enfin la mer que rencontre l'âme du poéte parvenu au terme provisoire de son errance, et à laquelle il s'unit, comme à la "mére des saisons à venir".


La concision de l'écriture et la richesse des images fait de chaque poéme de Bekri un objet ciselé, ouvert et dense. Les thémes sur lesquels s'articulent les images sont les mêmes dans tous le recueil et s'appuient sur des éléments stables : le jour, la nuit, le désert, la montagne, l'envol, la terre, les champs, les labours et la mer. Mais la densité marque également cette écriture : le poéme, chez Bekri touche à l'essentiel du paysage et de l'émotion, et produit un double effet de nature paradoxale. L'errance, la perte et la dépossession s'articulent sur des images d'une trés grande précision, d'une grande netteté.
Au coeur de cette poétique, la métaphore -fondée souvent sur des des comparaisons explicites et motivées - permet de circuler sans cesse entre le réel et l'imaginaire, le tangible et l'intangible. Non pas ouverte à un éloge de la présence ou de la dérive par rapport à un repére -fût-il rejeté à l'horizon-, non pas vouée à l'exploration méthodique d'un domaine, la métaphore permet seulement au poéte de réitérer dans chaque poéme la tentative de nommer une présence au monde toujours nouveau, toujours différant de lui même. Le poéme devient lui même un nomade, comme l'annonce le premier texte, et comme tel, il se déroble à une interprétation qui viendrait le figer, l'enchaîner. A l'inverse, les métaphores s'enroulent et se redoublent à l'intérieur d'elles-mêmes dans une composition en entrelacs qui, comme dans "Il y avait ce banc vide" (III, 2), multiplient les réseaux internes, ou dans les Priéres de marin ivre, finissent par établir une connivence entre les éléments : la terre, le feu, l'eau et l'air. Ainsi, également, au terme d'un parcours métaphorique particuliérement élaboré (II), Bekri fait apparaître la chose dans le temps suspendu d'un poéme, avant qu'elle ne disparaisse : "Dans la cour de la nuit bleuâtre / Il y a le citronnier centenaire / Ses offrandes sapides / (à) Est-ce l'été qui s'achéve ?". Rares sont les expériences poétiques qui parviennent, par une telle économie de moyens et en se fondant sur des sensations, à dire la dépossession et l'exil.


 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09