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Récipiendaire en 1976 du prix France-Haïti pour son recueil
de nouvelles Cinq minutes d'escale, Michel Georges Lescouflair
s'est plus particulièrement interrogé dans sa carrière
de nouvelliste, de romancier et d'essayiste sur la place des femmes,
dans la société, comme dans l'idéologie masculine
dominante. Dans ce recueil de nouvelles qu'il qualifie lui-même
d'érotiques, il prend acte de ce que la censure ne contraint
plus à métaphoriser les scènes les plus crues,
et même, que la représentation dans l'écriture de
l'émeute des sens est désormais un passage quasi obligé
pour l'écrivain contemporain, celui par lequel il affirme ainsi
sa maîtrise de l'écriture.
La représentation des corps agissant dans l'amour n'est pas en
effet chose aisée : il faut parvenir à contraindre dans
une forme réglée, soucieuse de codes, ce qui précisément
échappe à la contrainte. Décrire les fêtes
de l'impudeur entraîne à donner forme à l'empire
et au délire des sens, ce qui est une gageure paradoxale. Lescouflair
joue alors des codes de la plus stricte convention narrative classique.
Mais en même temps, il laisse entrevoir des perspectives qui traduisent
le malaise inhérent à la société haïtienne,
si manifestement clivée.
Il faut d'abord entendre le double sens du titre. Les
femmes font l'amour : on peut le considérer d'abord comme
une vérité générale, la caractérisation
première du territoire du féminin depuis le point de vue
des hommes. Les femmes sont d'abord caractérisées dans
leur essence par le fait que leur activité essentielle est de
faire l'amour. Ainsi, dans « Ti Carolle », le père
s'inquiète que son fils ne lui cache « une
inavouable pulsion » homosexuelle. Il ne saurait y avoir
de norme ailleurs que dans les relations sexuelles avec les femmes.
C'est dans la même nouvelle, la revendication par Ti Carolle de
son métier de bouzin (prostituée), véritable
professionnelle capable de réveiller la vigueur de l'éjaculateur
précoce, et l'enchaîner à la roue de ses propres
désirs. Certes, si l'érotisme est bien ce thème
littéraire qui fait différer la réalisation du
désir afin d'en prolonger l'intensité, l'auteur joue assez
subtilement de la cet effet. L'érotisme se mêle à
la pornographie, tant il est vrai que le plan détaillé
permet d'approcher la vérité des personnages. Les scènes
sont crues et détaillées, même si les anatomies
féminines sont en général convenues : « seins
debout aux pointes insolentes » (Le Pinceau), « velouté
des cuisses » (Il faut payer maintenant), «
triangle d'un pubis tendrement bombé
» (Ti Carolle), même si dans un cas, le corps apparaît
au contraire affaissé : « Ses seins
énormes, aux mamelons aussi gros et aussi noirs que des pruneaux,
pendaient lourdement » (Les duvets). Au delà
de ces conventions habituelles, les cinq nouvelles déclinent
cette vérité générale touchant les femmes
et l'amour selon des postures, des lieux, des personnages différents.
La dernière nouvelle, « Les duvets », vient
en quelque sorte démentir le caractère strictement masculin
du point de vue, puis qu'il met en scène deux jeunes filles.
Les femmes font l'amour : le titre peut
être interprété comme une vérité particulière.
Si ce sont bien les femmes qui le font, ce sont alors les hommes le
défont. La convention littéraire est alors quelque peu
malmenée par Lescouflair, qui ouvre le thème sur la proximité
du détournement quelque peu pervers, mais aussi du mal et de
la mort.
Mais d'abord, la femme est initiatrice de ces hommes engoncés
dans leur sérieux et dans leur morgue. Ainsi dans « Le
pinceau », c'est Ti Nana qui se fait l'initiatrice de son
futur mari mais aussi du jeune prêtre. Elle lui fait goûter
une seule fois la figure de son renoncement. C'est Mireille, qui dans
« Leçons particulières » d'une part
provoque la scène d'amour, mais aussi se révèle
capable de patience et d'attente de son amant si défaillant.
C'est Hélène, qui, dans « Il faut payer maintenant
» assassine l'homme si peu digne et pour qui toutes les femmes
confondues n'ont de valeur que parce qu'elles ne font que l'amour. C'est
enfin Nicole dont la jalousie irrépressible l'entraîne
à assassiner Cécile. Et c'est aussi dans cette dernière
nouvelle, « Les duvets » que la revendication amoureuse
est aussi la plus clairement affichée, dans ce qu'elle offre
comme subversion et comme l'exclusivité du territoire du féminin.
Les hommes, eux, se révèlent incapables d'installer le
désir dans la durée, et dans le champ vraiment amoureux.
Ainsi, dans Ti Carolle, la figure du père s'avère négative,
installant le fils dans la double contrainte. Les figures de père,
dans les nouvelles, se présentent la plupart du temps comme des
figures destructrices, et les épouses ne peuvent que les fuir.
Mais l'amour dont il est question dans le titre est d'abord un amour
entier, et qui n'accepte nulle restriction. Le regard des hommes est
en revanche celui du fétichisme : les corps des femmes sont caractérisés
selon le mode du découpage et de la distinction phénotypique.
Ainsi, au delà de la plaisanterie qui clôt « Le
pinceau », c'est la teinte de l'enfant qui est immédiatement
l'objet du regard du mari. De même dans « Leçons
particulières » le portrait de Michel Alfred est perçu
par l'autorité - certes, une Mère supérieure, mais
à qui est déléguée la puissance paternelle
- comme « malheureusement très brun
de peau ».
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