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  Michel Georges Lescouflair, Les Femmes font l'amour (5 nouvelles érotiques), Port-au-Prince, Chez l'auteur (13, 3ème avenue du travail, Port-au-Prince, Haïti), 2002. Sans indication de prix.

{Notre Librairie, n°151}

 

 
 

Récipiendaire en 1976 du prix France-Haïti pour son recueil de nouvelles Cinq minutes d'escale, Michel Georges Lescouflair s'est plus particulièrement interrogé dans sa carrière de nouvelliste, de romancier et d'essayiste sur la place des femmes, dans la société, comme dans l'idéologie masculine dominante. Dans ce recueil de nouvelles qu'il qualifie lui-même d'érotiques, il prend acte de ce que la censure ne contraint plus à métaphoriser les scènes les plus crues, et même, que la représentation dans l'écriture de l'émeute des sens est désormais un passage quasi obligé pour l'écrivain contemporain, celui par lequel il affirme ainsi sa maîtrise de l'écriture.
La représentation des corps agissant dans l'amour n'est pas en effet chose aisée : il faut parvenir à contraindre dans une forme réglée, soucieuse de codes, ce qui précisément échappe à la contrainte. Décrire les fêtes de l'impudeur entraîne à donner forme à l'empire et au délire des sens, ce qui est une gageure paradoxale. Lescouflair joue alors des codes de la plus stricte convention narrative classique. Mais en même temps, il laisse entrevoir des perspectives qui traduisent le malaise inhérent à la société haïtienne, si manifestement clivée.
Il faut d'abord entendre le double sens du titre. Les femmes font l'amour : on peut le considérer d'abord comme une vérité générale, la caractérisation première du territoire du féminin depuis le point de vue des hommes. Les femmes sont d'abord caractérisées dans leur essence par le fait que leur activité essentielle est de faire l'amour. Ainsi, dans « Ti Carolle », le père s'inquiète que son fils ne lui cache « une inavouable pulsion » homosexuelle. Il ne saurait y avoir de norme ailleurs que dans les relations sexuelles avec les femmes. C'est dans la même nouvelle, la revendication par Ti Carolle de son métier de bouzin (prostituée), véritable professionnelle capable de réveiller la vigueur de l'éjaculateur précoce, et l'enchaîner à la roue de ses propres désirs. Certes, si l'érotisme est bien ce thème littéraire qui fait différer la réalisation du désir afin d'en prolonger l'intensité, l'auteur joue assez subtilement de la cet effet. L'érotisme se mêle à la pornographie, tant il est vrai que le plan détaillé permet d'approcher la vérité des personnages. Les scènes sont crues et détaillées, même si les anatomies féminines sont en général convenues : « seins debout aux pointes insolentes » (Le Pinceau), « velouté des cuisses » (Il faut payer maintenant), « triangle d'un pubis tendrement bombé » (Ti Carolle), même si dans un cas, le corps apparaît au contraire affaissé : « Ses seins énormes, aux mamelons aussi gros et aussi noirs que des pruneaux, pendaient lourdement » (Les duvets). Au delà de ces conventions habituelles, les cinq nouvelles déclinent cette vérité générale touchant les femmes et l'amour selon des postures, des lieux, des personnages différents. La dernière nouvelle, « Les duvets », vient en quelque sorte démentir le caractère strictement masculin du point de vue, puis qu'il met en scène deux jeunes filles.
Les femmes font l'amour : le titre peut être interprété comme une vérité particulière. Si ce sont bien les femmes qui le font, ce sont alors les hommes le défont. La convention littéraire est alors quelque peu malmenée par Lescouflair, qui ouvre le thème sur la proximité du détournement quelque peu pervers, mais aussi du mal et de la mort.
Mais d'abord, la femme est initiatrice de ces hommes engoncés dans leur sérieux et dans leur morgue. Ainsi dans « Le pinceau », c'est Ti Nana qui se fait l'initiatrice de son futur mari mais aussi du jeune prêtre. Elle lui fait goûter une seule fois la figure de son renoncement. C'est Mireille, qui dans « Leçons particulières » d'une part provoque la scène d'amour, mais aussi se révèle capable de patience et d'attente de son amant si défaillant. C'est Hélène, qui, dans « Il faut payer maintenant » assassine l'homme si peu digne et pour qui toutes les femmes confondues n'ont de valeur que parce qu'elles ne font que l'amour. C'est enfin Nicole dont la jalousie irrépressible l'entraîne à assassiner Cécile. Et c'est aussi dans cette dernière nouvelle, « Les duvets » que la revendication amoureuse est aussi la plus clairement affichée, dans ce qu'elle offre comme subversion et comme l'exclusivité du territoire du féminin. Les hommes, eux, se révèlent incapables d'installer le désir dans la durée, et dans le champ vraiment amoureux. Ainsi, dans Ti Carolle, la figure du père s'avère négative, installant le fils dans la double contrainte. Les figures de père, dans les nouvelles, se présentent la plupart du temps comme des figures destructrices, et les épouses ne peuvent que les fuir.
Mais l'amour dont il est question dans le titre est d'abord un amour entier, et qui n'accepte nulle restriction. Le regard des hommes est en revanche celui du fétichisme : les corps des femmes sont caractérisés selon le mode du découpage et de la distinction phénotypique. Ainsi, au delà de la plaisanterie qui clôt « Le pinceau », c'est la teinte de l'enfant qui est immédiatement l'objet du regard du mari. De même dans « Leçons particulières » le portrait de Michel Alfred est perçu par l'autorité - certes, une Mère supérieure, mais à qui est déléguée la puissance paternelle - comme « malheureusement très brun de peau ».

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09